Gemini, l’IA générative qui gagne du terrain sur ChatGPT
- Par
Pollen
- Publié le
- 25/11/2025
- Temps de lecture
- 6min

L’histoire semblait écrite : OpenAI en tête, Google condamné à courir derrière. Pourtant, depuis un an, les courbes se déplacent, dessinent timidement un autre scénario. Gemini n’a pas renversé ChatGPT, loin s’en faut. Mais sans proposer un modèle plus brillant, l’IA générative de Google s’installe désormais partout où se joue la productivité : dans Gmail, dans Chrome, dans Android, dans les data sheets et les réunions d’équipe.
Or, à mesure que les entreprises basculent vers des usages concrets de l’intelligence artificielle (agents métiers, automatisation, copilotes internes), la question cesse d’être « qui a le meilleur modèle ? ». Elle devient plutôt, « qui s’installe le plus efficacement au cœur de nos outils ? ». Et sur ce terrain-là, Google avance très vite.
Ce que les chiffres nous disent
Les indicateurs d’usage racontent une histoire plus subtile que le récit dominant. Si ChatGPT reste ultra-présent avec plus de soixante-dix pour cent du trafic mondial des outils d’IA générative selon Similarweb, Gemini s’impose comme le seul challenger dont la courbe de progression ne faiblit pas. Sa part de voix dépasse désormais les dix pour cent, mais ce chiffre ne dit pas tout : la dynamique réelle se trouve ailleurs.
Car au-delà du trafic des plateformes GenAI, Google bénéficie d’une échelle d’usage que ses concurrents n’ont pas. Son application Gemini revendique désormais plus de 650 millions d’utilisateurs mensuels, tandis que deux milliards de personnes interagissent chaque mois avec AI Overviews dans Google Search. À cela s’ajoutent les 1,8 milliard d’utilisateurs Gmail, qui voient progressivement apparaître les suggestions IA dans leurs échanges quotidiens.
Cette combinaison de signaux faibles et de chiffres massifs ne marque pas un renversement immédiat. Elle indique en revanche un changement de phase : Google gagne du terrain.

ChatGPT reste largement en tête du trafic mondial des outils d’IA générative, mais Gemini est le seul modèle dont la part de voix progresse régulièrement depuis plusieurs mois.
Source : Android Authority, données Similarweb (2024–2025).
La bataille des écosystèmes à l’avantage de Gemini ?
Si l’on observe la dynamique d’adoption, un élément pèse plus lourd que les performances techniques : la distribution. L’avantage décisif de Google n’est pas de proposer un modèle supérieur, mais de le glisser dans un écosystème d’outils que tout le monde utilise déjà. Gemini ne demande ni téléchargement ni changement d’habitude, ni apprentissage. Il apparaît dans Gmail, dans Docs, dans Sheets, dans Slides, dans Drive ou dans Android comme une fonctionnalité de plus, presque anodine. L’IA cesse d’être un endroit où l’on se rend pour devenir un environnement qui nous accompagne.
Cette “IA par défaut”, qui se présente comme un prolongement naturel des usages, met fin à la friction utilisateur. Là où ChatGPT ou Claude nécessitent une intention - ouvrir une app, initier une conversation, créer un compte - Gemini se déclenche sans rituel, parfois même sans que l’utilisateur en soit pleinement conscient. C’est un changement de paradigme dont les effets sont encore sous-estimés : Google n’est plus seulement un compétiteur, mais un environnement intégré à l’entreprise.

L’avantage concurrentiel de Google : une distribution massive grâce à Workspace, Chrome, Android et Search, où Gemini se déploie directement au cœur des outils de travail.
Source : Google Cloud, Devoteam (infographies écosystème Gemini).
Gemini en entreprise : des partenariats et des mots doux
C’est ainsi dans l’entreprise que la montée en puissance de Gemini est la plus significative. Le modèle s’insère dans les infrastructures critiques où se prennent les décisions métier : finance, ventes, marketing, relation client, ingénierie, et ce, avec une fluidité qui intrigue les dirigeants.
PwC annonçait récemment avoir construit près de 250 agents métiers basés sur Gemini, couvrant des usages allant de l’analyse financière à la gestion de sinistres. Salesforce a intégré Gemini à Agentforce, son environnement d’agents CRM, une décision rare dans un secteur où les alliances technologiques se construisent avec prudence. WPP, géant mondial du marketing, a engagé un partenariat de 5 ans et 400 M$ pour intégrer Gemini, Veo et Imagen dans WPP Open et ses opérations marketing.
Un autre élément, moins visible mais déterminant, explique cette accélération : Google maîtrise l’intégralité de sa chaîne technologique. Là où Microsoft, OpenAI ou Meta dépendent de Nvidia pour leurs GPU, Google entraîne Gemini sur ses propres TPU, dans ses propres data centers, avec sa propre architecture. Cette autonomie, patiemment construite depuis dix ans, lui permet un déploiement mondial rapide, des coûts d’inférence maîtrisés et une efficience énergétique supérieure. En clair : Google ne dépend de personne pour opérer Gemini, et cette indépendance est devenue un avantage stratégique majeur.
Marc Benioff, directeur général de Salesforce, résumait cette impression d’élan d’un Tweet direct, allant jusqu’à considérer le modèle comme un tournant mondial à l’ère de l’IA. De la part d’un dirigeant qui évite habituellement toute prise de position tranchée sur des modèles concurrents, le signal faible semble lourd de sens.
Quand les benchmarks ne suffisent pas à orienter les usages
Si les entreprises se tournent vers Gemini, ce n’est plus (seulement) pour des raisons de performance brute, mais d’architecture. Les benchmarks - autrefois stars des classements - peinent à capturer ce qui compte réellement dans les usages. Un modèle peut être légèrement supérieur dans un test de logique sans jamais s’intégrer dans les systèmes, là où la valeur se crée.
Or, même dans les benchmarks, Gemini 3 reste un concurrent de taille. Il apporte un argument produit que ChatGPT maîtrise moins : la capacité à générer non seulement du texte, mais aussi des artefacts cognitifs. Demandez-lui d’expliquer le fonctionnement d’une centrale nucléaire, il ne se contente pas d’un paragraphe descriptif : il génère des schémas interactifs, reformule les concepts selon le niveau de compréhension, visualise les flux, manipule l’information. On passe d’une IA qui raconte à une IA qui montre. Pour l’ingénierie, la formation, la conception produit ou l’analyse, c’est un changement profond.

À niveau technologique comparable, l’entreprise choisit donc désormais l’IA qui s’intègre, qui coûte moins cher à faire tourner, qui respecte sa politique de données et qui accélère les workflows plutôt que celle qui remporte les concours. Et si l’avance technologique prise par OpenAI semble peu à peu comblée par l’ensemble des LLM concurrents, la puissance de l’écosystème Google offre à Gemini de précieuses barrières à l’entrée qui expliquent pourquoi certains utilisateurs sont peu enclins - pour paraphraser Marc Benioff - à “revenir en arrière”.

Avec Gemini, Google ne propose plus seulement un modèle d’IA mais une architecture de travail complète. Un choix qui engage la gouvernance, les workflows et la dépendance technologique des organisations sur plusieurs années.
Vers une dépendance cognitive accrue ?
L’idée avait été déjà pointée du doigt par des chercheurs du MIT, avec la publication d’une étude montrant combien ChatGPT pouvait nous rendre stupide et dépendant. Plus l’IA devient performante, plus elle modifie nos processus cognitifs.
Avec Google, cette transformation pourrait aller plus loin encore, car l’entreprise vise à créer une IA omniprésente et 100% intégrée. Avec AI Overviews, Google ne renvoie plus nécessairement vers les sites web. Il synthétise, explique, reformule. L’utilisateur n’a plus toujours besoin de cliquer. Pour Google, l’avantage stratégique est évident. Pour les éditeurs, il présente cependant un risque existentiel. Le web s’éloigne progressivement du modèle du “moteur de recherche” pour devenir un “moteur de réponse”, et cette dynamique agit comme un révélateur : au-delà des outils et des fonctionnalités, l’IA redessine l’infrastructure mentale de l’entreprise. Elle influence la manière de chercher, de comprendre, d’écrire et de décider.