Les RH, pionniers de l’IA malgré eux ?
- Par
Pollen
- Publié le
- 09/09/2025
- Temps de lecture
- 4min

On les imaginait garants du recrutements et de la formation. Les voilà propulsés en éclaireurs. Premières fonction touchée par la révolution IA en raison de leur profils d’ambassadeurs, les Ressources Humaines deviennent un laboratoire d’expérimentation de l’intelligence artificielle en entreprise. Un rôle inédit, exaltant et périlleux à la fois. Retour sur le nouveau rôle des RH à l’heure de l’IA.
Quand l’IA s’invite dans la maison RH
Les transformations technologiques suivaient habituellement des cycles lents : déploiement d’ERP, modernisation des SIRH… L’intelligence artificielle générative joue avec ses propres règles. En moins de deux ans, elle a été adoptée par 75 % des cols blancs qui déclarent l’utiliser régulièrement souvent de leur propre initiative (Work Trend Index 2024).
Dans les services RH comme ailleurs la vague a frappé de plein fouet. 51 % des entreprises américaines utilisent déjà l’IA dans leurs processus de recrutement, et parce que leur stratégie influence l’ensemble de l’entreprise, les RH font aussi figure de vitrine : leur adoption des outils est visible de tous, testée par chacun et attendue au tournant.
En entreprise, 78% salariés déclarent avoir amené eux-mêmes les outils dans l’organisation. À la fois vecteurs de l’innovation et utilisateurs isolés, ils imposent un tempo sur lequel les directions RH n’ont pas toujours la main. Elles doivent par ailleurs composer avec les contradictions : encourager la pratique mais structurer les usages pour éviter le shadow AI, réguler mais implémenter rapidement pour ne pas “louper le train”, être à l’écoute des inquiétudes et lever les freins à l’adoption.
La double casquette : pionnier et garde-fou
Pour accompagner la transformation (et mieux la comprendre), nombre d’entre eux se sont mués en véritable role model, utilisant eux même les outils qu’ils promeuvent. Si 51% des RH utilisent déjà l’IA aux États Unis, 66% l’ont adoptée pour la rédaction d’offres d’emploi, 44% pour le tri de CV, et 32% pour la recherche de candidats. 25% l’ont aussi d’intégrée dans la montée en compétence de leurs équipes : génération de supports de formation, réalisation d’ontologies de compétences, assistants de coaching et agents conversationnels, sont les nouveaux atouts dans la manche des responsables L&D pour former leurs équipes.
Mais à mesure, qu’ils expérimentent, les RH éprouvent aussi la fragilité du terrain. L’usage massif de l’IA dans la gestion des talents s’accompagne de nouveaux risques (transparence, confidentialité, biais) et 40% d’entre eux estiment que leur organisation manque de documentation interne claire pour utiliser l’IA de façon responsable et éthique.
Alors, comment être à la fois les premiers expérimentateurs et les premiers régulateurs ? Car au-delà des processus, l’IA touche à la culture même du travail et engage une révolution qui va bien au delà de la simple montée en compétence.
De la formation à la transformation
Plus qu’une maîtrise de la technique pure, l’enjeu est de développer un véritable langage collectif de l’IA. En première ligne, la capacité à intégrer les outils dans le quotidien métier et faire preuve d’agilité s’avère fondamentale, puisque 39% des compétences clefs devraient évoluer d’ici cinq ans sous l’effet de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. Le bouleversement dépasse ainsi le cadre de la formation continue. Il touche la structure même de l’entreprise. Mais faute de Direction Data ou d’Academy IA transverse, beaucoup d’organisations ne disposent pas encore de pilote attitré pour engager cette transformation.
Les RH doivent donc non seulement former, mais aussi structurer la stratégie IA de l’entreprise : définir les compétences cibles, cartographier les risques, et accompagner la création de nouveaux rôles, à commencer par ceux des AI Champions, ces collaborateurs capables d’évangéliser et d’infuser la culture IA dans leurs équipes. Et si passer par de tels champions n’est pas la priorité affichée de tous, le BCG en fait un facteur fondamental de succès. Les organisations qui associent montée en compétences, gouvernance IA et réseau d’ambassadeurs internes auraient ainsi 2,5 fois plus de chances de réussir leur transformation.
Un mandat stratégique qui redessine le périmètre des RH ?
Les RH endossent désormais des responsabilités qui dépassent leur périmètre d’activité traditionnel. Le choix d’outils, les investissements mobilisés et la politique de compétences sont plus que jamais au coeur de la stratégie d’entreprise. Ce nouveau mandat stratégique leur impose toutefois d’être épaulés. Si l’IA évolue à un rythme plus soutenu que la capacité des organisations à produire des programmes de learning, les RH doivent donc installer les usages avant de les structurer, créer des espaces d’expérimentation tout en gardant le cap sur une stratégie cohérente.
Certaines entreprises montrent déjà la voie avec des méthodes qui leur permettent de rester agiles. Réseaux de AI Champions formés pour tester, documenter et diffuser les bonnes pratiques, identification de relais par département afin d’ancrer la transformation et de faire remonter les défis métier, création de rendez-vous réguliers pour instaurer une véritable culture de l’IA, constitution de premiers cadres éthiques et juridiques pour accompagner les usages, les bonnes pratiques sont nombreuses.
Elles esquissent une méthode déjà plébiscitée par les pionniers du secteur : un apprentissage rapide, qui implique l’ensemble de l’entreprise, sans perdre de vue la dimension humaine. Car au-delà des outils, l’IA réinvente les liens entre travail, sens et responsabilité. Et c’est bien le territoire que les RH sont appelés à reconstruire.