IA : quand la formation devient transformation, avec Doctolib et Schneider Electric
- Par
Pollen
- Publié le
- 22/09/2025
- Temps de lecture
- 7min

En septembre dernier, Open AI publiait un rapport estimant que 10% de la population mondiale utiliserait ChatGPT. Le résultat de trois années marquées par une adoption massive de l’IA générative. Si le sujet est désormais sur toutes les lèvres, le vocabulaire a déjà changé chez les pionniers : il n’est plus seulement question de formation, mais de transformation.
En cause, l’IA générative, qui évolue plus vite que les plans de formation traditionnels. Les directions Learning & Development et responsables métiers composent désormais avec ce rythme inédit. Deux entreprises emblématiques, Doctolib et Schneider Electric, montrent en particulier qu’il est possible de relever le défi avec une approche différente. Retour sur leurs meilleures pratiques.
Schneider Electric : une académie IA pour 160 000 collaborateurs
L’intérêt du géant Schneider Electric pour l’IA n’est pas nouveau. Dès 2021, bien avant la vague ChatGPT, l’entreprise nomme un Chief AI Officer. Un choix inédit pour une société industrielle. Son rôle : accélérer le déploiement de l’IA à l’échelle du groupe. Dans son sillage, Jean-Côme Renaudin a pris la tête de la Data & AI Academy, avec un mandat simple mais colossal : accompagner la montée en compétences des 160 000 collaborateurs du groupe.
Quatre publics, quatre approches
Pour réussir ce déploiement, Schneider Electric a segmenté ses publics en quatre audiences.
- Les experts IA, data scientists et data engineers, recrutés en nombre et “schneiderisés” pour comprendre les enjeux business du groupe.
- Les clients internes, issus des métiers finance, supply chain ou sales, formés pour identifier les opportunités offertes par la technologie.
- Les collaborateurs dans leur ensemble, afin de diffuser une culture commune de l’IA et d’installer des pratiques partagées.
- Les managers et leaders, intégrés dans un second temps, une fois l’acculturation installée dans les équipes.
Des résultats à grande échelle
Les chiffres témoignent de l’efficacité de cette approche. En 2024, 48 000 collaborateurs avaient suivi au moins une formation, sans qu’aucune ne soit obligatoire. En 2025, l’entreprise a franchi une nouvelle étape en instaurant un module d’upskilling IA de 30 minutes rendu obligatoire pour tous, avec un taux de complétion record de 99 %.
Le rôle clé des champions IA
Autre pilier de la stratégie : les AI Champions. Identifiés lors de webinaires ou de “promptathons”, ces collaborateurs passionnés deviennent de véritables ambassadeurs internes. Ils partagent leurs cas d’usage, relaient les formations, organisent des ateliers locaux et, parfois, forment eux-mêmes d’autres champions. En Inde, un noyau de dix champions a ainsi permis de former 2 000 personnes en un mois. Aujourd’hui, le réseau de l’entreprise compte environ 1 000 champions IA formés directement par l’académie, qui fournit en avant-première les kits pédagogiques et les supports de communication nécessaires.
Une gouvernance en mode start-up
Cette réussite repose aussi sur une gouvernance singulière. La Data & AI Academy fonctionne comme une “start-up dans une grande boîte”, en travaillant main dans la main avec l’IT, la communication et les métiers. Même lorsque la propriété technique d’un outil, comme Copilot de Microsoft, relève officiellement de la DSI, l’adoption est pilotée par l’académie. Son rôle est d’animer un collectif transverse, de coller au terrain et d’agir vite.
Doctolib : 60% d’utilisateurs actifs, 20% de temps pour les équipes
Chez Doctolib, l’approche est aussi innovante. l’IA n’est pas un sujet d’expérimentation mais un levier stratégique. Dès février 2024, l’entreprise a déployé Dust, plateforme française qui permet de configurer des assistants IA en combinant la puissance des IA génératives type ChatGPT, Claude ou Anthropic avec des données internes. L’outil a été rendu accessible auprès des 3 000 salariés. 60% l’utilisent régulièrement, et la moitié sont considérés comme des “utilisateurs actifs” (plus de 15 jours d’utilisation par mois ou 100 messages échangés dans le mois).
En parallèle, 46% des collaborateurs ont suivi au moins une formation IA générative avec une importance particulière donnée à la pratique directe, souligne Cécile Dehesdin, Head of Learning chez Doctolib : “Si vous voulez former une population à adopter un esprit critique sur l’IA, il n’y a pas meilleure façon que de la pousser à tester par elle-même. C’est lorsqu’on expérimente une hallucination en direct, que l’on comprend les limites et la puissance de l’IA et que l’on progresse dans son usage”.
Une méthode en trois étapes
Le plan d’adoption a été conçu comme une progression en trois temps, du plus large au plus spécifique :
- Le terrain de jeu : l’ouverture de Dust avec un “starter pack” d’assistants utiles à tous (traduction, intranet, product assistant), couplée à un e-learning de 45 minutes couvrant les bases de l’IA, la vision de Doctolib, et un guide pratique du prompting. L’objectif : rendre l’IA accessible à chacun, sans barrière technique.
- Les masterclass fonctionnelles : ce sont des ateliers métiers co-construits avec les équipes, permettant de traduire les cas d’usage en gains concrets. Chaque collaborateur repart avec des scénarios applicables immédiatement dans son quotidien.
- Les hackathons et sprints : niveau avancé, orienté impact. Ils ont pour but de développer des assistants spécifiques pour accélérer l’atteinte des objectifs stratégiques 2025. Ici, l’IA devient un outil collectif, au service des priorités business.
Cette stratégie de formation dévoile aussi une ambition plus rare : rendre 20 % de temps aux collaborateurs en automatisant les tâches à faible valeur ajoutée. Une promesse audacieuse, mais aussi fédératrice : celle de faire de l’IA un outil quotidien capable d’améliorer les conditions de travail des équipes.
6 bonnes pratiques pour former à l’IA
Que retenir des approches de Doctolib et Schneider Electric ? Comment transposer les méthodes de ces leaders au sein de votre entreprise ? Et que lancer dès à présent ? Voici les bonnes pratiques que nous retenons.
1. Commencer tôt, avec une logique bottom-up
L’expérimentation directe reste le meilleur moyen de développer l’esprit critique. Portée par les talents, elle est d’autant plus efficace pour favoriser l’adoption et installer les usages. Avant de se lancer dans une feuille de route ambitieuse, l’important est d’ouvrir l’accès aux outils afin de remonter les besoins réels des équipes.
2. Privilégier la pratique et former avec de l’humain
“On ne peut pas former à l’IA avec du e-learning” avance Cécile Dehesdin. L’humain doit être placé au coeur de ce qu’apporte l’IA, dans l’utilisation comme dans la réponse aux potentielles peurs des collaborateurs. Les formats pratiques et les retours de pairs sont aussi précieux pour booster l’engagement et l’apprentissage.
3. Identifier et former des “champions IA”
Les pionniers de l’adoption existent déjà dans chaque organisation. Les repérer, leur donner un rôle clé et du temps dédié transforme ces passionnés en véritables relais d’adoption. Schneider Electric a bâti un réseau mondial fort de 1 000 champions IA capables de former leurs collaborateurs ; Doctolib revoit aujourd’hui son programme pour clarifier les missions de ses “power users”.
4. Accompagner le changement, pas seulement la montée en compétence
L’IA infuse l’ensemble de l’entreprise. Plus qu’une compétence technique, il s’agit d’une transformation métier. Formation, IT, communication, managers et RH doivent porter un projet collectif.
5. Former régulièrement et garder les contenus à jour
L’IA évolue en permanence et la culture doit être ancrée. Pour rester pionniers, les leaders du marché ont privilégié des rendez-vous réguliers et synchrones afin d’intégrer les dernières évolutions et maintenir l’engagement des équipes. Les masterclass live et les interventions d’experts en poste jouent un rôle clé.